Culture

Fête de la BD d’Alès : le Prix des lecteurs pour Philippe Gauckler


La Fête de la BD d’Alès, qui devait avoir lieu les 18 et 19 avril, a été annulée à cause de l’épidémie de coronavirus. Inspiré, le comité de lecteurs a récompensé le dessinateur Philippe Gauckler pour son album “Kebek” dans lequel une équipe de scientifiques, confinée sous terre, est en proie à un corps céleste étranger… Découvrez ici un auteur impliqué et soucieux des dysfonctionnements planétaires actuels.

La Fête de la BD, à Alès, devait souffler sa quatrième bougie les 18 et 19 avril. La crise sanitaire en a décidé autrement. « Le comité de lecture s’est toutefois mis au travail et a pu déterminer le vainqueur du prix des lecteurs », a indiqué Raphaël Bernat, président de l’association Bulles cévenoles, organisatrice de l’événement.
Un live Facebook a d’ailleurs été réalisé le 31 mars par Raphaël Bernat pour annoncer le nom du vainqueur.

L’environnement et les impacts des activités humaines interrogent

Philippe Gauckler (lire le portrait ci-dessous) remporte le prix des lecteurs Pascal-Guelfucci 2020 pour son album Kebek. Un récit de science-fiction situé dans la province de Eeyou Istchee Baie-James, région des Monts Otish, au Québec. Les lecteurs ont-ils été influencés par le confinement, les événements climatiques ou les questionnements que la BD de Gauckler ne manque pas de poser sur les activités humaines sur Terre ? Mystère. Toujours est-il que le prix a été attribué à une œuvre dans laquelle les activités humaines sur l’environnement et la marque de Barjavel ont laissé des traces. Si le lecteur suit un récit de science-fiction, il n’en découvre pas moins des réflexions très actuelles.
« Nous organiserons une remise du prix en présence de l’auteur qui habite Paris, à la librairie Alès BD dès que cette crise sera derrière nous », a assuré Raphaël Bernat. Et d’ajouter : « Nous pensons organiser en même temps une journée de dédicaces avec quatre ou cinq auteurs. »

Kebek, éd. Daneil Maghen 
Août 2019, 88 pages
Tarif : 19 €

Philippe Gauckler, sentinelle du pouls de la planète, entre temps présent et science-fiction

Auteur de bandes dessinées, scénariste et coloriste, Philippe Gauckler est né en 1960 à Lyon. Après s’être égaré dans des études d’architecture, perdu avant même d’entrer à l’Académie Jullian, après avoir fréquenté les Arts Appliqués et envisagé d’adapter en bande dessinée La Nuit des Temps, de Barjavel, Gauckler fait son entrée dans la profession en illustrant pour Métal Hurlant  de courtes histoires. Gauckler développe en parallèle une carrière d’illustrateur pour la jeunesse et la publicité.

Quel sentiment vous inspire cette “remise de trophée” en mode confiné, un peu comme l’action de l’album pour lequel vous recevez ce prix ?
Je n’avais pas conscience que l’histoire de Kebek puisse avoir un caractère confiné, mais il est vrai que tout se passe dans des espaces limités. J’ai découvert la vidéo de remise du prix en différé (suivre le lien de l’article ci-dessus), avec cette belle surprise à la clé. Donc, un prix remis en direct à un lauréat qui le réceptionne une heure après et qui remercie l’assemblée éparpillée par petits signes et messages particuliers. Comme une scène de film au ralenti… Je serai très fier que ce prix soit le premier prix remis en période confinée, en cette période de crise sanitaire collectivement endurée. Une sorte de stratégie d’adaptation à une période contrainte…

La science-fiction a souvent présenté des sphères, cubes et même des pyramides, comme des objets inconnus ou menaçants, amenant les hommes à modifier leur comportement ou leur conception de l’univers. Quel a été votre postulat de départ, en dehors de l’inspiration du livre de Barjavel ?
La Nuit des Temps, de René Barjavel, n’a jamais quitté mon panthéon des livres proposant une situation inédite à laquelle nous sommes brutalement confrontés. Ce qui se passe en ce moment dans nos vies est une situation de ce type. Les objets géométriques non naturels sont un vecteur idéal pour déclencher des interrogations et inventer des propositions, des pistes explicatives, exactement comme le ferait une enquête policière. La piste de la menace est la plus fertile, l’ennemi invisible potentiel encore plus angoissant. C’est exactement ce qui se passe en ce moment : l’ennemi invisible crée un stress et une angoisse qui sont difficiles à contenir. Les discours rassurants sont même disqualifiés parce qu’ils n’ont aucune raison d’être rassurants. On quitte la sphère du monde rationnel pour aller vers des situations et des attitudes irrationnelles, comme ce que nous vivons en ce moment.
Nous sommes dans un pur moment de science-fiction, sauf que personne n’a encore écrit la suite… Et cette suite, tout le monde en a une idée, chacun a envie que le monde soit modifié – en bien –, chacun a aussi envie d’un retour à la normale, sans heurt et sans bagarre générale. J’espère que l’épilogue de ce moment présent nous donnera envie de ne jamais le recommencer ou alors d’en renouveler les bons côtés, comme suspendre la circulation, arrêter d’aller vite, … Il se pourrait d’ailleurs que des projets naissent de ce moment unique et inédit : une semaine commémorative du silence, un hommage à nos morts fauchés par la maladie.
Je crois que malgré la brutalité et le cynisme du monde politique et économique, quelque chose est en train de naître ; une conscience de notre extrême fragilité émotionnelle. On s’en voudra sans doute d’avoir manqué de sang-froid, d’avoir été aussi fébriles… La science-fiction, dans son exploration des thèmes les plus variés, nous a permis d’anticiper des visions de mondes difficiles, des situations délicates, des conflits ou des périls qui nous menacent, la manière de les éviter… Je ne sais pas pour autant si les lecteurs de science-fiction sont mieux préparés pour affronter une situation telle que la nôtre…

Quel objectif recherchez-vous dans la fabrication d’une BD ? Simple divertissement ou réflexion sur le monde, sa manière de fonctionner ou de dysfonctionner ? Un dessinateur de BD a-t-il une place dans un monde où les débats dits sérieux sont souvent tenus par des économistes, des politiciens, des philosophes ou des « experts » reconnus ?
C’est une très bonne question et je regrette qu’on ne la pose pas plus souvent aux auteurs de BD qui ont parfois le sentiment d’être confinés dans leurs cases. En réalisant un album de BD, on espère être distrayant, éveiller la curiosité, réaliser de beaux dessins, bref, faire quelque chose qui ne soit pas ordinaire, quelque chose qu’il est difficile d’entreprendre, un projet unique, le produit d’un travail mûri. C’est mon ambition avec les aventures que j’ai réalisées. Kebek, comme Koralovski, explore les arrières-cours de l’exploitation minière et pétrolière. J’ai découvert un certain nombre de pistes intrigantes en me documentant grâce aux livres, aux revues et à internet. Tout en respectant le mode “distraction”, je me suis permis de glisser des éléments du réel dans les événements que rencontrent mes personnages.
Avant et pendant la réalisation de Kebek, je me suis renseigné sur l’extractivisme, sur les compagnies minières au Canada, j’ai lu pas mal d’articles, quelques livres et écouté de nombreux podcasts sur internet. Il ne s’agit pas de l’intrigue principale, juste de l’arrière-fond qui permet d’établir une structure au récit, de varier les points de vue, les angles et les préoccupations des divers acteurs. Kebek me permet d’aborder plusieurs thèmes et préoccupations contemporains, mais ce n’est pas l’objectif principal de ce livre. Je crois cependant que je pourrais tenir mon rang dans un débat sur les nouvelles technologies, sur l’extractivisme, sur l’intelligence artificielle et l’homme augmenté ou sur les périls que la Terre pourrait avoir à subir et dont personne ne se préoccupe… Comme les variations d’intensité du champ magnétique solaire ou terrestre, les radiations cosmiques ou l’activité tellurique. J’ai même abordé le thème de la sécurité sanitaire…

Une date de sortie du deuxième tome est-elle déjà prévue ? Quels sont vos projets ?
Le tome 2 sortira fin août, si nous arrivons à reprendre la chronologie du temps présent et si l’incroyable bousculade qui nous confine à la maison s’achève sans que la société s’éparpille en morceaux. Mais j’ai bon espoir que les choses s’améliorent et que nous pourrons reprendre nos activités. Je vais poursuivre mon chemin en mode prospectif et sans aucun doute imprégné de science-fiction. Mais je resterai à la frontière des champs exploratoires contemporains. En sentinelle.

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